samedi 14 avril 2012
LA COIFFURE
Quand on voit avec quelle simplicité les femmes se coiffent aujourd’hui, on a peine à comprendre comment, sur la fin du dernier siècle, elles avaient été amenées à donner à leur coiffure des formes si extraordinaires et si démesurées. L’art d’un perruquier ordinaire ne leur suffisait plus, et il fallait y joindre celui du serrurier pour ajuster tous les ressorts de ces machines énormes qu’elles portaient sur la tête.
La caricature s’était emparée de cette mode ridicule, et en avait fait justice. Celle que nous donnons fut accompagnée de bien d’autres. On représenta les femmes ainsi coiffées, suivies de maçons et de charpentiers pour agrandir les portes par où elles devaient passer. On eut l’idée aussi de cacher de la contrebande sous ces gigantesques chignons, et de les faire ouvrir par les commis aux barrières, qui en tiraient des provisions suffisantes pour garnir un marché. Cependant il ne faut pas trop reprocher aux femmes cet attirail incommode qu’elles entassaient sur leur front ;
Une caricature de la fin du XVIIIe siècle
les hommes leur avaient donné l’exemple, et, avant qu’elles n’inventassent au dix-huitième siècle toutes ces modes exagérées, l’autre sexe en avait fait autant au dix-septième siècle. Sous Louis XIII, les hommes portaient des calottes ; l’idée vint d’y joindre des cheveux postiches pour déguiser l’absence des cheveux naturels ; puis on parvint à faire tenir les cheveux postiches sans calotte, et alors la perruque fut trouvée. Cette invention fut déclarée admirable ; et Louis XIV était encore bien jeune lorsqu’en 1656 il créa trente-huit charges de barbiers perruquiers qui avaient le privilège exclusif de l’exploiter. Elle prospéra rapidement.
En 1673, Louis XIV institua deux cents nouvelles charges. Jusqu’alors, les rois de France et les gentilshommes s’étaient distingués par la barbe et par la moustache. Louis XIV ne garda plus qu’un léger filet au-dessous de la lèvre inférieure ; mais il remplaça l’ornement qui manquait au bas de la figure par celui qu’il ajouta sur le haut, et la perruque devint le signe de la noblesse.
Les perruquiers ne cessaient pas d’imaginer de nouvelles modes pour se rendre plus importants, et de s’éloigner toujours plus de la simplicité de la nature. Après avoir inventé la perruque, ils inventèrent la poudre. Louis XIV ne pouvait souffrir cette dernière création ; peut-être voyait-il, dans ces frimas artificiels qu’on voulait jeter sur sa tête, l’image de la vieillesse qui lui était odieuse, et dont il se défendit jusqu’au bout. Ce ne fut qu’à la fin de sa vie qu’il consentit à ce qu’on le poudrât un peu, de manière à ne le blanchir que légèrement. Mais Louis XV porta dès l’enfance cette poudre, symbole de vétusté, que son aïeul avait toujours repoussée. Les femmes conservèrent longtemps plus de simplicité dans leurs coiffures. Sous Louis XIV, elles n’avaient ni perruque ni poudre : sous Louis XV, elles se poudrèrent ; mais elles gardèrent leurs cheveux très bas par devant, de manière que leur front dominât et restât découvert.
Ce n’est guère qu’à partir de l’avènement de Louis XVI que les coiffures des femmes prirent ces accroissements bizarres dont nous parlions en commençant ; et une fois que cette mode fut prise, elle ne connut plus de bornes ; elle changea avec une rapidité merveilleuse, non pas pour se corriger, mais au contraire, pour prendre des développements toujours plus singuliers et plus extravagants.
La nomenclature de toutes ces coiffures est par elle-même fort curieuse. Les noms qu’on leur donnait venaient quelquefois de leur forme, comme ceux-ci : le hérisson à quatre boucles, le parterre galant, le pouf à la chancelière, le pouf à droite, le pouf à gauche, le bonnet à fusée, le casque à la Minerve ou à la dragonne, la Phrygienne, la Dauniène, la coiffure au Colisée, à la laitière, à la baigneuse, à la marmotte, à la dormeuse, à la paresseuse, à la paysanne, aux clochettes, aux aigrettes, au fichu, la corbeille, le croissant, la Circassienne, l’Orientale, le bandeau d’amour, le chapeau en berceau d’amour orné de fleurs.
Quelquefois aussi ces noms étaient empruntés à des événements, comme le chapeau à l’anglaise, à l’américaine, à la Voltaire, à la victoire ; quelquefois encore, aux succès de théâtre, comme la Gabrielle de Vergy, la Cléopâtre, l’Eurydice, le bonnet à la Raucour. On ne se bornait pas à faire des pyramides de cheveux, comme dans la caricature que nous donnons ; on jetait encore par-dessus tous ces crochets, ces poufs, ces chignons et ces tapis, des rubans en quantité, des fleurs, des fichus, des chapeaux, des bonnets, qui étaient construits en même temps que la chevelure, et qui avaient l’air d’un véritable étalage de marchandises de toute espèce. La Révolution, qui déracina les tours de la Bastille, fit crouler aussi celles qu’on avait amoncelées sur la tête des femmes.
Les femmes de Beaucaire, de Tarascon et d’Arles se distinguent par le mouchoir de mousseline ou de soie, bariolé de vert et de jaune, dont elles entourent leur tête. Elles aiment beaucoup les bijoux : leurs bras sont entourés de bracelets composés de fils d’or plus ou moins gros et auxquels pend un ornement appelé maltaise, parce que c’est une espèce de médaillon en forme de croix de Malte, et une énorme croix de même forme leur couvre presque toute la poitrine. Les plus riches portent des croix à sept diamants.
Autrefois les femmes portaient le drolet : c’était une petite robe très courte partagée en quatre bandes qui descendaient jusqu’au mollet ; et elles se coiffaient d’un petit chapeau noir, bordé en rubans de soie ou en velours.
Coiffure des femmes de Beaucaire
Ce costume gracieux a été abandonné ; il régnait sur toutes les rives du Rhône, depuis Arles jusqu’à Avignon.
Ces observations, notées par Millin dans le voyage qu’il fit dans le midi de la France, sont celles qu’on pourrait faire encore aujourd’hui. Le savant voyageur déplorait que la plupart des femmes jouissant de quelque aisance eussent renoncé dès lors, dans ce pays comme presque partout, au costume national qui leur seyait si bien. De nos jours, elles sont de plus en plus infidèles aux vieilles moeurs et aux vieilles coutumes ; toutefois, celles qui habitent la Provence et le comtat de Venaissin , si elles ont quitté le petit chapeau dont parle Millin, ont conservé du moins la coiffure, plus simple et plus gracieuse, d’origine sans doute beaucoup plus ancienne.
Les coiffures, quoique un peu différentes, se ressemblent en ce qu’elles consistent de part et d’autre en une coiffe rappelant par sa forme ce qu’on est convenu d’appeler le bonnet phrygien, autour de laquelle s’enroule un mouchoir ou un large ruban de velours ou de soie qui la fixe. Cette disposition rappelle la mitra antique et en peut être un reste. Ce n’est pas seulement l’Orient qui conserve presque sans changement, comme on l’a dit justement, des vestiges des temps anciens. Pour qui sait les discerner, l’Occident aussi, et notre propre pays, en garde encore des traces aussi peu effacées.
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